Des vérités pas bonnes à dire
Chronique politique du vendredi matin des Matins Luxe sur Luxeradio
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La crise en Ukraine agite toutes les chancelleries et les chefs d’Etat n’arrêtent pas de se téléphoner, y compris avec le méchant Poutine. Tout le monde va de son anathème : on ne peut pas entériner la mise sous control de la Crimée par Moscou. Les grands principes sont rabâchés : respect des droits de l’homme, intégrité territoriale, respect du pouvoir en place, pas d’ingérence d’une puissance étrangère, et j’en passe.
Paris, Bruxelles, Washington et tous les philosophes engagés n’ont vraiment pas de mémoire. Il
parait qu’il faut être scandalisé qu’une grande puissance invente des prétextes fallacieux pour envahir un plus faible et petit pays. Faut-il rappeler l’aventure américaine en Irak et ses mensonges ? Faut-il rappeler l’intervention française en Cote d’Ivoire et ailleurs, au prétexte d’assurer la sécurité de ses nationaux ? En Afrique, les Occidentaux n’ont-ils pas remis en cause le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, au Soudan par exemple. La rhétorique sur la crise en Ukraine donne l’impression que Washington, Paris et Bruxelles sont tous frappés d’amnésie. Réclamer le respect absolu des frontières, y a-t-on songé quand on a imposé la sécession du Kosovo, quand on a envahi en toute impunité le Panama ? Rien n’autorise Vladimir Poutine d’installer, où que se soit, son régime néo-impérialiste, mais à ce jour, la règle non écrite du respect des zones d’influence avait été toujours respectée.
Il est vain d’envoyer des avions Awak et des appareils F15 et F16 dans la région, si le monde entier sait que les USA n’ont aucune intention de les utiliser. En ce qui concerne les menaces de sanctions économiques, elles sont plus faciles à brandir qu’à mettre à exécution. Ces sanctions font partie de l’arsenal des moulinets devenu coutumier de la diplomatie dite active. Une politique étrangère qui est là pour calmer les éditorialistes furieux, et qui aboutit à une diplomatie à l’épate sur l’autel du « Live » et de Twitter. Lorsque l’on veut faire de la géopolitique et de la bonne diplomatie, il faut consentir l’effort de bien connaître la façon de penser des acteurs de la crise, en particulier des Russes. Ces Russes qui reprochent à l’Occident d’avoir une analyse biaisée des évènements survenus à Kiev, et d’avoir une politique de deux poids deux mesures dans sa pratique du droit international.
Dans ce jeu de poker menteur qui se déroule sous nos yeux, Bruxelles et Washington mettent un
voile pudique sur les véritables objectifs et motivations qui les animent. Ces objectifs n’ont rien à voire avec la défense des droits de l’Homme ou le respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Les Etats-Unis ne veulent pas que des liens trop étroits unissent l’Union européenne à la Russie. Leur hantise est l’entrée un jour, certes lointain, de la Russie dans l’Union européenne. Pour les compagnies gazières américaines, venir concurrencer Gazprom en Europe est une occasion à ne pas manquer, mais elle a un coût, freiner le retour de l’industrie américaine qui profite pour le moment d’un gaz de schiste bon marché, vu l’interdiction de l’exporter en dehors des Etats-Unis. La poursuite de l’agrandissement de l’Union européenne vers l’Est est, en réalité ,une recherche de main d’œuvre bon marché préférable à celle des pays du sud à majorité musulmane. Pour Bruxelles, l’immigration des pays de l’Est est plus facilement intégrable que toute autre.
Toutes ces vérités ne sont pas bonnes à dire, car politiquement incorrectes. Il n’y a aucune raison idéologique et militaire à une nouvelle guerre froide. Comme dit l’ancien ministre français, le sénateur de Belfort, Jean-Pierre Chevènement : « Sans la Russie, il manque quelque chose à l’Europe ».